Vie, mort et résurrection d’un papillon


Sommaire

Avant de relater mon expérience judiciaire, je vais raconter ce qui m’avait amené là, à savoir un accident : piéton (moi) percuté par une voiture.
S’en suivirent des mois de rééducation et des années de procédure judiciaire.

Il s’agit juste d’un retour d’expérience.

L’accident

Nous sommes en 2005. Après 2 ans de dur labeur en prépa, je quittais la région parisienne pour rejoindre une grande école de commerce dans la Cité des Ducs. Et bien entendu, comme tout jeune promu, nous partîmes un weekend fêter cela dans les Landes.

Le weekend fut bien arrosé. Le samedi soir, après avoir aidé un camarade à finir sa vodka pomme (je ne sais pas si c’était la vodka ou le jus de pomme qui était mauvais mais cela avait un arrière goût de vomi… et en y repensant, le fautif devait être le jus de pomme car les autres cocktails à base de vodka n’étaient pas mauvais), nous décidâmes de rentrer nous coucher. Mes souvenirs de la soirée s’arrêtent là. Le seul lit que j’ai rejoint fut celui des urgences.

Le rond point

Pour rentrer, il fallait traverser une route. Il y avait un rond point : la route, le chemin pour la plage/logement, le chemin pour la soirée. Le trajet le plus court était donc de traverser le rond point, nous essayâmes de marcher au plus droit.

Visiblement, une voiture sur la route choisit également le chemin le plus direct. Voyant la voiture arriver, j’eus le réflexe de monter le rond point, mon camarade de reculer sur la route. Je fus percutée de plein fouet et atterris 20 mètres plus loin.

L’ambulancier

Lors des soirées alcoolisées, il arrive qu’il y ait des petits accidents. Par chance, une autre camarade s’était faite une entorse du genou en dansant, une ambulance était donc sur place pour la prendre en charge.

En entendant le choc quelques mètres plus loin, il paraît que le bruit ressemblait à celui d’une voiture renversant une poubelle. Des étudiants ont prévenu qu’un accident avait eu lieu. Les ambulanciers ont donc abandonné l’entorse pour venir s’occuper de moi.

Comme c’était une soirée étudiante, il y a vite eu du monde. Le chauffeur/chauffard est resté sur place. Je ne sais pas si c’est par volonté ou contrainte de la foule. Sûrement les deux + état de choc.

Les ambulanciers ont pu m’oxygéner (c’est sûrement ce qui fait que je suis en bonne santé actuellement). Il parait qu’un médecin est venu et voulait me déplacer, mais un secouriste s’y est opposé. Après de longues minutes le samu est arrivé et m’ont emmenée aux urgences du centre hospitalier de la côte basque. Je tombais dans un profond coma.

Quand au conducteur, il a été emmené en garde à vue après l’accident et est ensuite resté en détention provisoire. Il avait 1,4g d’alcool dans le sang.

Vu qu’on m’a posé la question, la personne qui a reculé a donc été le plus proche témoin des événements.
La voiture a « juste » traversé le rond point (comme moi, pas de chance). Ca fait partie des nombreux trucs qui ne sont pas sensés arriver.

Le diagnostic

Les premiers examens ont montré des multiples fractures + oedeme cérébral + hématome sous-dural. Un coma type Glasgow 3. C’est donc là que j’ai pu apprendre comment on « mesurait » un coma. Les médecins ne pouvaient pas se prononcer sur mon pronostic vital pendant 72h.

L’échelle de Glasgow permet de mesurer l’état de conscience. 3 éléments sont notés de 1 à 5 : 1 = aucune réaction, 5 = réaction normale. Le score évolue dans le temps et ne présage pas du sort du patient, même si on pourrait légitimement penser qu’on récupère plus difficilement d’un coma très profond.. Par exemple Marie Trintignant était dans un coma de type Glasgow 4 (elle émettait des grognements apparemment). Schumacher était dans un coma Glasgow 4 ou 5 après son accident. Pourtant nous n’avons pas eu la même évolution.

Finalement, mon état a bien évolué. L’oedeme diminuait et je me réveillai 7 jours plus tard.
C’est ici que mes souvenirs reprendront.

Le coma

Fun fact : le neurochirurgien qui m’a opéré s’appelle le docteur Caillaud. Ca pourrait être un blague carambar. Cela dit, je ne remercierai jamais assez ce médecin, qui plus est très humble (« je n’ai fait que mon métier »), avec une douceur dans la voix et des gestes apaisants (et l’inverse). Quand il y a un oedème, le but est de limiter la pression intracrânienne. On retire donc du liquide cephalo rachidien. Et on espère que l’oedème se rétracte. Ce qui arriva.

En réanimation, les matelas sont super confortables. On est également massé/manipulé quotidiennement pour éviter ou limiter les ankyloses. Comme j’avais une jambe cassée (et qu’il faut attendre le réveil pour opérer), la jambe gauche est restée totalement immobilisée (ce qui plus tard m’empêchera de la plier).

On a également droit à 2*1 heure de visite quotidienne, avec 2 personnes maximum simultanément.

Je n’ai pas connu d’expérience de mort imminente : voir sa vie défiler, couloir blanc, etc. J’ai juste dormi.

On m’a parlé pendant mon coma et fait écouter de la musique, notamment les groupes que j’aimais bien. J’aurai émis un premier frétillement de paupière à l’écoute de certains morceaux (notamment celui-ci de ska-p).

Le réveil

Bref, reprenons les vrais souvenirs. Donc je me réveille. Voyant que je suis allongée, intubée et qu’il y a pas mal de matériel médical, j’en déduis que je suis dans un hôpital… Mais je ne sais pas où ni pourquoi.

Normalement, il y a une phase entre le réveil et la reprise de la conscience. Je suppose que mes souvenirs correspondent au retour de l’état de conscience. Et je ne sais pas le laps de temps qu’il y a eu entre les deux (court, j’imagine).

Les premiers mots

J’essaie de communiquer mais ce n’est pas possible en étant intubée. On me retire assez vite le tuyau… Mais j’essaie de parler et quasiment aucun son ne sort de ma bouche, j’arrive difficilement à chuchoter.

On me donne une ardoise et un stylo mais la, autre surprise : mes mouvements ne sont plus du tout coordonnés… C’est très difficile d’écrire (et d’être lisible, cela ressemble à l’écriture d’un enfant de 3 ans).

Je voulais juste prévenir les médecins que je portais des lentilles. Évidemment, quand ils m’ont compris, ils m’ont dit que cela faisait longtemps qu’on me les avait enlevées.
J’avais réussi à déduire que j’étais dans un hôpital mais je n’avais pas réalisé que je voyais flou.

On me demande si je sais où je suis : je propose le CHU de Créteil (je passais devant toutes les semaines lorsque j’étais en prépa). On m’indique que je suis au centre hospitalier de la côte basque à Bayonne. Euh… ok.

Ensuite mes parents viennent me rendre visite, ma mère me demande si je sais qui elle est : bah tu es ma mère. Hey, enfin une bonne réponse ! (en même temps, c’était facile, c’était ma mère). Ils m’ont un peu expliqué pourquoi j’étais là. Je les ai écoutés sans vraiment comprendre.

Si je résume donc mon état :

  • je peux chuchoter
  • j’écris comme un enfant de 3 ans
  • mon côté gauche est paralysé : la jambe car elle est immobilisée (fracture du fémur), et le bras ne répond pas beaucoup.
  • je ne sais pas trop pourquoi je suis là

La réanimation

En réanimation, on est dans des petits blocs, on ne voit pas ses voisins. J’apercevais un vieux en face qui avait eu un accident de vélo. Pour le manipuler, ils devaient utiliser des sangles. Ça me faisait penser à la scène de Jurassic Park, quand ils nourrissent les raptors (évidemment, le patient sortait quand même en meilleur état). Un mélange d’images floues et de morphine.

Avant l’opération du fémur, j’ai également eu droit à un premier repas : un croque monsieur. D’habitude, j’aime bien cela. Mais le pain de mie ressemblait à une semelle, ce qui entrainait plusieurs difficultés :
– couper le pain de mie : lorsqu’on a le bras gauche à moitié paralysé, c’est difficile. La fourchette servait plus à soutenir mon bras que l’inverse
– manger tout ça : quand on a plus d’incisives, c’est également compliqué.
Mais c’était mon premier vrai repas.

On m’a ensuite transféré dans un service normal (orthopédique) où les matelas paraissaient bien durs.

Cerveau à capacité réduite

Je n’ai pas trop de souvenirs de Bayonne. La morphine y est sûrement pour quelque chose. Mon cerveau ne fonctionnait pas très bien non plus.

Freaky fact : on m’a rendu ma montre, à aiguille…et je ne savais pas à quoi servait cet objet. Je ne savais plus lire l’heure. On a du me réexpliquer que la petite aiguille indiquait les heures et la grande les minutes. Ce n’est pas si évident.

J’ai eu plusieurs difficultés de ce genre, on me demandait de lire un texte : le chat est assis sur le fauteuil. Aucune difficulté pour lire. Par contre à la question : où est le chat ? Impossible de répondre. Il manquait quelques connexions.  Je lisais les mots mais pas le sens, j’avais perdu la capacité d’interprétation.

Vous comprendrez donc que les mathématiques étaient devenues un monde parallèle (pourtant j’avais eu 20 au bac).

Mais petit à petit, en faisant des exercices simples (résoudre un mémory à 4 cartes), on récupère…lentement.

La verticalisation

Cela faisait plus de 10 jours que j’étais totalement alitée, se redresser était inimaginable. Parfois, au réveil, lorsqu’on se lève un peu trop vite, on a la tête qui tourne. C’est un peu pareil mais en pire. Du coup, il existe des exercices de « verticalisation » pour réhabituer le corps.

Il y a plusieurs exercices pour se réadapter à la position verticale. Le film « Patients » le montre assez bien (très bon film au passage). En gros, on vous attache à une table, et on redresse progressivement cette table jusqu’à la verticale. Et quand vous avez trop mal (à la tête, vertiges, etc.), on repasse progressivement en position allongée. Ca n’a pas l’air mais c’est très éprouvant.

Entre la position débout et couchée, il y a la position assise. Après la première séance de verticalisation, on m’a donc mis dans un fauteuil. Je ne sais pas si j’ai tenu une heure assise. Je n’en pouvais plus, j’avais mal à tête, j’étais fatiguée. Après ce dur exercice, j’ai donc repris mon activité principale : dormir.

Retour à la vie réelle

Après avoir retrouvé la verticalité, et pouvant tester les joies de la liberté en fauteuil roulant,  j’ai eu droit à une première permission de sortie (après quelques semaines). J’ai donc eu droit de visiter le vieux Bayonne, en fauteuil roulant. Ce voyage prenait une autre dimension :

  • les pavés, c’est joli, mais c’est un enfer en fauteuil : les vibrations, les roues qui se coincent dans les joints
  • les passages piétons : pourquoi laissent-ils 2 cm de trottoir ?
  • les voitures garées sur le trottoir, ou les poubelles sorties
  • les distributeurs de billets anormalement hauts (mais peu importe car je ne savais plus mon code de carte bleu)
  • les portes automatiques qui tournent… bon, après on se rend compte qu’il existe un bouton pour ralentir les portes, sinon on se retrouve vite poussé par la vitre arrière à ne plus rien contrôler, on est poussé de biais, en mode dérapage (ça, je l’ai expérimenté non pas à Bayonne mais au centre de rééducation)

Bref, plein de choses prennent une grande ampleur, tout se transforme en obstacle.

C’est dans un reflet de vitre que j’ai vu ma tête pour la première fois. Enfin ma tête… la tête que j’avais sur les épaules car elle ne me ressemblait pas beaucoup :

  • Un sourire édenté (les mega dents du bonheur)
  • Quelques cicatrices
  • Les joues creusées
  • Les yeux creusés (j’avais perdu plus de 10 kg, du coup il ne reste que la peau sur les os…les muscles fondent à une vitesse folle)
  • Et une coiffure…. : une tonsure, ou punk inversé. Les neurochirurgiens ne rasent la tête qu’aux endroits où ils ont besoin.

Du coup voyant les cheveux, j’ai préféré qu’on me rase la tête.
Ça me donnait un côté Ripley dans Alien 3 et ça c’était classe B-)

(vous saurez donc pour quoi j’ai cette photo en avatar sur Skype)

La fin (précipitée) de l’hospitalisation

Ensuite, un médecin petit-chef a estimé que je n’avais plus besoin d’être hospitalisée. Je n’étais pas apte à faire quoi que ce soit mais je n’avais plus besoin d’hospitalisation, je prenais la place d’un malade, il fallait que je quitte les lieux. Et dans ces cas là, il faut libérer le lit, même si on ne sait pas trop où aller. Ici, l’assistante sociale de l’hôpital a bien aidé à trouver un centre de rééducation fonctionnelle, orthopédique et neurologique.

Mais c’était un moment difficile : on se retrouve vraiment démuni, déjà qu’il ne nous reste pas grand chose…

C’est ici aussi je pense que je me suis encore plus renfermée. Déjà, on n’est pas en mesure d’exprimer verbalement beaucoup de chose. Mais en plus, on se rend compte que si on craque, cela provoque une déflagration encore pire chez les proches. Ils doivent déjà faire face à beaucoup de difficultés. Voir quelqu’un hospitalisé n’est pas évident, surtout quand on devient dépendant de tout…alors si en plus on craque, tout se fissure. C’est aussi parce le cerveau n’a conscience de pas grand chose. Donc voir la tristesse dans les yeux des autres, c’est un moment où on prend conscience par procuration, à travers le regard d’autrui.

Du coup, il était plus prudent de dissimuler ses propres difficultés. Cela permet de préserver tout le monde.

Quand je quitte Bayonne :

  • je peux me déplacer en fauteuil roulant
  • ma jambe gauche ne plie pas (beaucoup)
  • mon bras gauche reagit mieux
  • lire 3 cases d’une bande dessinée est compliqué (ça demande énormément d’attention et mon cerveau se fatigue vite…associer un mot, un sens… c’est long mais il y a des images)
  • résoudre un memory à 4 cartes est faisable
  • j’interagis un peu plus
  • si on n’est pas pressé, je peux donner l’heure
  • je dors beaucoup
  • j’ai le look de Ripley (et ça c’est classe B-) )

Quand au conducteur, il a été libéré sous caution le même jour. Presqu’un mois de prison. Je suis sortie de l’hôpital, il est sorti de prison.

Le centre de rééducation

Me voilà donc partie en ambulance, direction la région parisienne. C’est peut être bizarre mais ça m’a fait énormément plaisir de retrouver grisaille et barres d’immeuble.

Me sentant revigorée par l’air pollué du pays, je tentais d’interagir avec les médecins qui examinaient mon dossier, la multitude de scanners passés, etc. Voyant que j’étais réveillée, ils ont communiqué avec moi :
– Là vous voyez, la tache blanche, c’est le sang que vous avez dans le cerveau
– il n’y en a pas autant d’habitude ?
– il n’y en a pas du tout
Bon, encore raté. Mais même si ma remarque était un peu à côté de la plaque, cela montrait les progrès que j’avais réalisés.

Au centre de rééducation, le programme est un peu plus intense :
– 4h de kiné par jour : objectif plier la jambe, remuscler, remarcher, montrer/descendre des escaliers
– des séances d’ergothérapie pour coordonner les mouvements (mais j’avais bien progressé)
– Ou une rééducation neurologique, pour essayer de se concentrer.

Au centre, j’étais la seule jeune. Les autres étaient surtout des personnes âgées victimes d’AVC. Du coup j’avais droit à une chambre toute seule. Ca n’allait pas aider à m’ouvrir aux autres (mais je n’avais pas à regarder motus et derrick à fond).

Les séances de kiné

Avant chaque séance de kiné, j’avais droit à un dérivé de morphine en gellule (ActiSkenan), pour que la séance ne me fasse pas trop souffrir. Je n’ose même pas imaginer ce qu’elles auraient été sans. Même avec, je serrais les dents (qu’il me restaient) et des larmes débordaient parfois de mes yeux. Mais discrètement. Mon but c’était de plier la jambe. La kiné le remarquait quand même et faisait des pauses (elle ne faisait que plier ma jambe).

Le pire instrument de torture était une chaise. Un poids était attaché à une ficelle, qui était attachée à ma cheville. Le poids pendait à l’arrière de la chaise,  ce qui forçait la flexion de mon genou. Il fallait rester assis le plus longtemps possible. Pire que koh Lanta.

J’ai de très bons souvenirs en kiné. Déjà je pouvais parler à quelqu’un de « jeune ». Elle aussi. Ça lui changeait des autres patients. On parlait musique. Je lui ai fait découvrir les cowboys fringants. Elle m’a passé un CD des petites bourrettes. Une fois, à la fin d’une séance : il y a monsieur untel qui fait la course avec Monsieur bidule. C’était 2 personnes qui approchaient doucement en déambulateur (c’est peut être pas le plus drôle raconté comme ça mais ça m’avait beaucoup fait rire).

Le manque d’attention

J’ai de mauvais souvenirs en neurologie. Je le prenais des remarques du style : c’est quand même facile vu le niveau d’étude que vous avez, faîtes un peu plus attention, vous avez fait une bonne prépa.
Elle était obsédée par la prépa que j’avais faite et l’école que j’avais intégrée. Pourtant, si on me permet l’analogie, si Usain Bolt se pete le genou, il courra beaucoup moins vite. Le cerveau c’est un peu pareil.
Visiblement, il n’y a pas que moi qui manquait de perspicacité.

Par contre, elle trouvait que j’avais un profil littéraire. Et ce fut loin d’être la seule à me faire la remarque. C’était marrant parce que tous mes profs trouvaient que j’étais plutôt scientifique. La magie des traumatismes crâniens.

To be free

Comme je l’ai dit plus haut, je n’ai jamais vraiment échangé avec les autres patients du centre de rééducation. L’autre « jeune » avait 35 ans (quand on a 20 ans, 35, c’est énorme… c’est comme dire à quelqu’un de 40 ans et de 70 ans qu’ils sont de la même génération) et avait été amputé d’une jambe après un accident de moto, les autres avaient souvent plus de 60 ans et se remettaient d’accidents vasculaires cérébraux.

Ma voisine de chambre essayait de fuguer. Alors certes, ce n’était pas drôle mais cela m’amusait. Il fallait fermer les portes sinon, même paralysée d’un côté, elle arrivait avec son fauteuil électrique à se faufiler, prendre l’ascenseur et essayer de quitter le centre. Parfois les autres services appelaient : oui, on vient de la retrouver aux urgences là, vous pouvez venir la chercher ? Comme on était à Longjumeau, elle voulait peut être tout simplement être libre (pour celles et ceux qui ne savent pas Longjumeau, c’est la ville des 2 be 3).

En vrai, elle devait avoir beaucoup de problèmes, déprimait, et ne montrait donc aucun signe de volonté pour s’en sortir. Mais de mon point de vue de spectateur, cela faisait une petite animation dans le centre et c’était toujours bon à prendre. Car le but en centre de rééducation, c’est de tuer le temps. Et voir les soignants partir à la recherche d’une personne hémiplégique, imaginer quelqu’un en fauteuil prendre la fuite créait un petit effet cinéma burlesque. Elle profitait également des visiteurs pour leur demander, enfin leur faire comprendre d’ouvrir la porte (car avec l’AVC, elle ne pouvait pas non plus parler).

Les premiers pas

Une journée, j’ai eu une permission de sortie pour aller voir les cowboys fringants. Pas le concert, juste les balances. L’intérêt est souvent limité (test, 1, 2, tu peux me mettre un peu plus de guitare dans les retours ?). Mais je voyais un groupe que j’aimais bien, j’ai pu discuter avec eux, ils m’ont offert un t-shirt. Puis je repartais à Longjumeau.

Ça m’avait tellement changé les idées que le soir je n’ai même pas pensé à prendre mes béquilles pour me déplacer du lit au lavabo. Mais dès le 2e pas, je me suis rendue compte qu’il me manquait quelque chose. Ma jambe gauche n’était pas encore assez musclée pour supporter mon poids. Mais c’est avec émotion quand même (et étonnement) que j’ai fait mes premiers pas sans soutien (mais en boitant fortement).

La sortie du centre

Pour sortir du centre, je devais être capable de plier suffisamment la jambe pour descendre des escaliers (la descente demandant plus de flexion que la montée). Et éviter la boiterie. Lorsque ce fut le cas, j’ai eu droit à mon bon de sortie. Avant, je devais également diminuer la prise d’anti douleur, donc arrêter l’actiskenan pour passer à des produits plus doux.

J’ai récupéré assez vite. Vers la fin, j’ai même discuté avec une infirmière qui devait faire un tour de garde à 20h. Je ne dormais pas à cette heure là, preuve que je reprenais un peu de force. Je pouvais voir le journal de 20h (et les émeutes qui avaient lieu en banlieue à ce moment là).

En sortant du centre de rééducation :

  • je marchais avec une seule canne
  • mon bras gauche réagissait bien (même si je n’arrivais pas à contracter certains muscles, ce n’était pas gênant)
  • je refaisais de l’humour noir
  • je pouvais lire une BD
  • il me manquait toujours des dents

La sortie ne signifiait pas la fin des soins. Il me restait encore 5 séances de kiné par semaine, puis 3 par semaines, pendant plusieurs mois.

En sortant, je pouvais également commencer à m’occuper de soins que je n’avais pas eu jusqu’à maintenant, à savoir retrouver des dents. Les derniers soins ont eu lieu 7 ans après l’accident.

En neurologie, la reprise des études (qui a eu lieu plusieurs mois après) a été le meilleur entrainement. Je n’ai pas pu éviter le redoublement et je pense être une des rares élèves à voir ses notes s’améliorer au fur et à mesure des années. J’ai validé toutes les matières et ai obtenu mon diplôme.

Du no futur à l’optimisme

En lisant ce récit, on peut légitimement se demander comment on vit un tel accident. Et bien plutôt bien. Déjà parce que comme je l’ai dit, tout au long de l’hospitalisation et de la rééducation, on n’a pas conscience de ce qu’on est devenu, et de ce qu’on est tout court. Par contre, on voit les progrès. Plus tard, on voit le chemin parcouru en se disant : ah ouais, en fait, je pensais ça allait mais j’étais bien dans la merde quand même. Ce n’est qu’en sortant le nez qu’on s’en rend compte. Il faut donc être capable de lever la tête et cela prend du temps.

On pourrait penser qu’un accident comme le mien, c’est un futur qui s’assombrit. Pour citer Didier Wampas à propos des punks et du « no-futur », ce n’est pas « no futur », c’est « tout est possible ». C’est peut être une vision optimiste mais en tous cas, il y a tout à (re)construire…avec des contraintes, certes.

Mais comme disait je ne sais plus qui, l’optimiste est celui qui sait à quel point le monde est dur. Le pessimiste, celui qui le découvre tous les jours. Je suis sûrement devenue optimiste à 20 ans.

Une remarque aussi courante est : « après ce que tu as vécu, tu dois vraiment profiter de la vie ». Oui et non. Il faut trouver le bon équilibre entre la peur (parfois paralysante) de ne pas la gâcher et profiter vraiment.

Actuellement :

  • j’ai toujours le côté gauche moins musclé (mais ça ne m’empêche pas de faire du sport)
  • j’ai régulièrement des maux de tête (même si cela tend à aller mieux)
  • la fatigue s’est atténuée (bon, maintenant c’est juste la trentaine)
  • je ne fais plus de cauchemar à la période de l’accident…mais moralement, c’est souvent une période difficile (même si tout va bien, le cerveau doit avoir une boite noire qui émet quelques signaux)
  • je n’ai jamais rebu de vodka pomme (ni bu énormément de vodka depuis)
  • je n’ai quasiment pas participé aux soirées étudiantes (plus par fatigue qu’autre chose)
  • je ne porte pas de t-shirt rose (déjà parce que je n’aime pas cette couleur, mais comme j’en portais le soir de l’accident, je peux maintenant dire rationnellement que cela porte malheur)
  • je suis plus renfermée qu’avant (mais j’y travaille…ou pas)
  • j’aurai énormément de monde à remercier (même si parfois, je ne me souviens plus de leur nom ni de leur tête), mais je ne remercierai jamais assez celles et ceux qui m’ont soutenu (sans parfois le savoir) à cette période-là
  • j’ai l’air normal (et je le suis) et si je n’avais pas écrit ça, la plupart des personnes que je côtoie actuellement ne seraient pas au courant (ce n’est pas non plus le sujet le plus facile à aborder, cela peut créer un malaise chez les autres…bon, là, vous n’étiez pas obligés de lire)

Comme déjà la partie médicale fut longue (et pourtant, ce qui est détaillé n’a duré que quelques mois), la partie judiciaire fera l’objet d’un autre post (hop, il est ici : comment obtenir des indemnités après un accident de voie publique). Comme cela a duré 10 ans, cela risque d’être un autre pavé. Et finalement, la partie médicale était plus facile à vivre.